Livr'arbitres
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DEUX QUESTIONS A RENAUD CAMUS [2014]
Dossier : Des écrivains au milieu des ruines
Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'espérer pour entreprendre un combat politique ?
Renaud Camus : D'une part je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'espérer pour entreprendre, parce qu'il y a toute sorte de situations où on ne peut pas ne rien faire : c'est trop bête, trop bas, trop triste, trop humiliant, trop indigne des morts. D'autre part je ne crois pas que la situation soit absolument désespérée, quoiqu'elle en ait bien l'air. j'ai eu souvent l'occasion de le dire : j'ai une conception lazaréenne de la patrie. De la patrie française, bien sûr, mais des peuples et des nations en général. Voyez le peuple juif, voyez Israël. Qui aurait pu penser que même l'hébreu ressusciterait d'entre les morts ? Plusieurs fois au cours de son histoire la France a ressurgi du néant. Cela dit, je veux bien reconnaître que pour elle, avec un autre peuple, il va être difficile et presque impossible de renouer avec le cours de l'histoire. Or c'est doublement, hélas, que nous avons affaire à un autre peuple : ethniquement, bien sûr, à cause du Grand Remplacement ; mais spirituellement aussi, même chez les Français d'origine française, parce que jamais au cours de l'histoire l'adversaire (je serais presque tenté de le doter d'une capitale...) n'a disposé de tels moyens - l'école, la télévision, l'industrie de l'hébétude - pour transformer en profondeur les âmes et les esprits. On disait jadis que quoi qu'il arrive, et quand les élites avaient trahi, le peuple, les couches populaires, restaient fidèles à la patrie, à l'idée de la France. Or, voyez leur empressement à donner à leurs enfants des prénoms tirés de la pire télévision américaine ou de la plus niaise chansonnette italienne, comme si la francité ne leur était plus de rien. N'importe : il faut s'arc-bouter sur le découragement pour ne pas désespérer (ou l'inverse, je ne sais plus).
A vos yeux, les civilisation ne sont pas mortelles ? Pourtant, l'Égypte, Athènes, Rome ne sont plus. Comment une résurrection serait-elle possible sans un puissant substrat ethno-culturel ? Cela ne suppose-t-il pas de s'opposer à toutes les théories moderne du contrat ?
Renaud Camus : Votre question m'embarrasse parce que je ne puis être hostile à toutes les théories moderne du contrat - à moins de jouer un peu sur les mots et de tirer parti de "modernes", qui a le mérite de laisser Hobbes de côté, éventuellement. Après tout, et si je puis me permettre, le "pacte d'in-nocence" relève bel et bien, à sa façon, d'une théorie du contrat, sur un monde lointainement hobbesien, justement. Pour poser le débat en termes qui me sont plus familiers, ou qui le seraient davantage aux lecteurs de Dus sens, on ne peut jamais se débarrasser tout à fait d'Hermogène, cet éternel vainqueur. Et d'ailleurs ce n'est pas souhaitable : il faut du contrat, de la convention, de l'artificiel et même de l'arbitraire assumés ; mais aussi de l'engagement, de la responsabilité. Cependant, au contrat, il faut de l'honneur et de la honte, de l'héritage, de la lignée, de la race : autrement dit de la Parole, de la parole d'honneur. C'est l'ambiguïté de tout pacte. Il est pacte, traité, mais il ne peut tenir que par le sang, versé ou versable, ne serait-ce qu'au bas du parchemin. Cratyle, c'est sa force, est indispensable à ce qui paraît le nier le plus efficacement : la convention, le covenant, le contrat. Les sociétés du contrat qui ne sont pas soutenues par la puissance de la Parole, de l'honneur, de l'origine, sont en permanence remises en cause, en fonction de l'équilibre des forces, ou des haines. Cratyle aussi est insubmersible, bien plus encore qu'Hermogène. J'irais même jusqu'à dire, revenant à notre précédent échange, qu'il est une figure éminemment lazaréenne, lui aussi. L'origine est ce qui revient toujours, ce qui remonte des profondeurs, même d'au-delà la mort. Voyez la situation actuelle : jamais l'antiracisme n'a été si fort, jamais la race n'a été si tabou, et jamais, jamais, on n'a vu et entendu les gens parler à ce point, tous, hu haut de leur arbre généalogique même s'il ne s'en rendent pas compte. Vous entendez leur nom, vous savez à peu près ce qu'ils vont dire : peut-être pas pris un par un, et encore ; mais en masse, certainement.
Bien sûr que les civilisations sont mortelles. Mais elles le sont d'autant moins que leurs conventions fondatrices sont mieux fichées en terre, incarnées, originées chez les morts. Vous parlez de substrat ethno-culturel. Vous pensez bien que je suis parfaitement d'accord avec vous. Toutefois je suis peut-être un peu plus optimiste. Le substrat peut ressurgir des profondeurs, à la faveur d'un glissement des plaques tectoniques. Laissez-moi cette espérance.
Camus, R. (2014). Deux questions à Renaud camus. Livr'arbitres n° 15, 36-37.